ACUPOX : évaluer l’efficacité de l’acupuncture sur les neuropathies induites par l’oxaliplatine chez des patients atteints de cancers digestifs
Les patients atteints de cancers digestifs sont principalement traités avec une molécule de chimiothérapie : l’oxaliplatine. Or, cette molécule induit dans environ 75% des cas une toxicité, la neuropathie périphérique, détruisant l’extrémité de certaines fibres nerveuses et provoquant picotements et engourdissements au niveau des orteils et des doigts.
La neuropathie, lorsqu’elle est invalidante pour le patient au quotidien, peut empêcher la poursuite de la chimiothérapie et donc freiner la lutte contre le cancer. Aucune molécule médicamenteuse à ce jour n’a par ailleurs prouvé une grande efficacité pour traiter les neuropathies.
L’étude ACUPOX du GERCOR, financée par la Fondation, vise à évaluer l’efficacité de l’acupuncture sur les neuropathies induites par l’oxaliplatine chez des patients atteints de cancers digestifs.
Emmanuelle Kempf, médecin oncologue à l’hôpital Henri Mondor de l’APHP (Créteil) et elle-même formée à l’acupuncture, fait partie de l’équipe qui mène l’étude. Nous lui avons demandée de nous parler de ce projet.
Pouvez-vous nous présenter l’étude ?
L’étude ACUPOX aborde le traitement des effets indésirables de la chimiothérapie, leur impact sur la qualité de vie des patients, et soumet donc une procédure non médicamenteuse, l’acupuncture, à une investigation scientifique. Elle articule des données subjectives – en donnant la parole aux patients dans l’évaluation de la toxicité dans leur quotidien – avec des métriques quantitatives objectives en lien avec la qualité de la conduction nerveuse et les perturbations provoquées par la chimiothérapie.
Comme toute étude interventionnelle, le projet ACUPOX est scindé en deux phases :
L’amont de l’étude, qui a duré trois ans et qui s’est terminé en 2023, visait à construire un protocole. Nous avons pour cela travaillé avec l’équipe méthodologique spécialisée en évaluation de la qualité de vie (GERCOR, CHU de Besançon), et en impliquant par ailleurs des acupuncteurs libéraux qui ont une solide expérience du traitement par acupuncture des toxicités induites par la chimiothérapie.
La deuxième phase, l’étude incluant environ 150 patients, est menée par des binômes acupuncteur/oncologue qui réalisent les traitements dans cinq sites : l’hôpital Henri-Mondor AP-HP à Créteil, le centre hospitalier intercommunal de Créteil, l’hôpital de la Pitié Salpêtrière AP-HP et l’Hôpital Saint-Antoine AP-HP à Paris, ainsi que l’institut Daniel Hollard à Grenoble.
Que compare-t-on dans cette étude ?
Tous les patients participant à l’étude sont atteints de cancers digestifs et doivent avoir arrêté le traitement à l’oxaliplatine à cause de la neuropathie.
On compare après tirage au sort deux groupes de patients : les patients qui ont reçu le protocole d’acupuncture (bras A expérimental) avec des patients qui ne l’ont pas reçu (bras B surveillance).
Néanmoins tous les patients bénéficient de 6 séances d’acupuncture une fois par semaine : en semaine 7, les patients du groupe A sont évalués pour le critère d’évaluation principal, donc après avoir suivi le protocole ; les patients du groupe B sont eux aussi évalués en semaine 7 mais avant de recevoir le protocole. Chaque patient, qu’il fasse partie de l’un ou l’autre des groupes, se fait suivre par son oncologue de manière indépendante et décorrélée de l’étude.
Cette articulation évite que les patients tirés au sort dans le bras surveillance, éventuellement déçus de ne pas recevoir le traitement, n’aillent rechercher de l’acupuncture en libéral – ce qui biaiserait l’étude. De cette façon, nous gardons tous les patients, et garantissons à tous une prise en charge en accès acupuncture à l’hôpital, selon le protocole.
Il existe beaucoup d’études sur l’acupuncture – en existe-t-il en lien avec le traitement des neuropathies ?
A l’international, il y a eu des études sur la neuropathie. Néanmoins, ces études étaient hétérogènes dans le sens où elles prenaient en compte différentes molécules de chimiothérapie susceptibles d’induire des neuropathies – donc avec des patients atteints de cancers du sein, d’autres du colon, etc. Avec ACUPOX, on a voulu faire une étude homogène, et donc ne sélectionner qu’un seul type de molécule de chimiothérapie. Et ça, a priori, c’est une première dans le monde.
Comment êtes-vous arrivée à vous former à l’acupuncture ? Qu’est-ce qui vous y a poussée ?
J’ai commencé à me former au terme de ma formation en oncologie : d’une part, parce que je voyais régulièrement des patients qui présentaient une toxicité à long terme d’une chimiothérapie qui était censée leur rendre service, et qui pouvait être très invalidante. D’autre part, plusieurs de ces patients qui allaient voir un acupuncteur en parallèle de leur traitement à l’hôpital me rapportaient des bénéfices tels que la diminution de nausées, des douleurs abdominales ou de neuropathies.
Par ailleurs, les études montrent qu’un patient sur deux, en cours de chimiothérapie, a recours aux médecines complémentaires mais le cache à son oncologue de peur d’être jugé. C’est donc important de rationaliser l’accès des médecines complémentaires en cours de chimiothérapie pour éviter qu’elles ne soient récupérées par des personnes qui potentiellement maitrisent moins le sujet.
Où en est-on avec l’intégration de l’acupuncture dans les services hospitaliers et en particulier ceux spécialisés en oncologie ?
C’est très long, l’acupuncture s’exerce aujourd’hui essentiellement dans le secteur libéral et n’est donc pas accessible à tous. Néanmoins, les choses avancent : l’inscription à l’ordre des médecins en tant qu’acupuncteur permet de réglementer la formation de médecins formés en France comme acupuncteurs versus ceux formés dans des écoles privées non homologuées. Par ailleurs, dans les hôpitaux publics, il existe de plus en plus de plateformes de soins de support, ou des plateformes de prise en charge de la douleur qui incluent des propositions d’acupuncture pour les patients. Donc, pour le moment, l’acupuncture est dans le meilleur des cas intégrée comme un service transversal de l’hôpital, et non dans un service d’oncologie.
Par ailleurs, beaucoup de médecins généralistes se forment à l’acupuncture.
Cette étude pourrait-elle permettre de développer le recours à l’acupuncture dans les services d’oncologie ?
Oui, c’est l’objectif. Avec cette étude, on étaye son rationnel par la meilleure méthodologie possible, et on ouvre ainsi les possibilités d’argumenter auprès des tutelles pour faciliter la création des unités, la formation de médecins, etc.